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#Expertise – Billet 10

Titre de l’article : Le contrôle inhibiteur, la flexibilité cognitive et la production de disfluences chez les enfants qui bégaient et ne bégaient pas

Auteurs : M. Paphiti, M. A. Talias, K. Eggers

Date de parution : 7 mars 2024

Résumé en quelques mots

Il s’agit de la première étude conçue pour évaluer directement les rôles du contrôle inhibiteur et de la flexibilité cognitive sur la production de disfluences chez l’enfant qui bégaie.

Le contrôle inhibiteur englobe le contrôle des interférences (c’est-à-dire l’inhibition des pensées et de l’attention sélective) et l’inhibition de la réponse (c’est-à-dire l’inhibition des comportements qui ne sont plus appropriés). L’inhibition de la réponse est considérée comme complexe lorsqu’il s’agit non seulement d’inhiber une réponse motrice, mais aussi d’en exécuter une conflictuelle.
La flexibilité cognitive est définie par Ionescu en 2012 comme la capacité à établir des changements, à avoir un contrôle cognitif et à avoir une pensée divergente. Elle s’appuie sur le contrôle inhibiteur et la mémoire de travail et permet de s’adapter aux changements environnementaux (nouvelles règles).

Depuis 2017, les études montrent que l’enfant d’âge scolaire qui bégaie a des performances de flexibilité cognitive inférieures à celles du l’enfant qui ne bégaie pas, ce qui suggère un rôle possible de la flexibilité cognitive dans le bégaiement développemental.
Toutefois, les études sur le lien contrôle inhibiteur, flexibilité cognitive et bégaiement donnent des résultats mitigés tant auprès des enfants que des adultes qui bégaient.


La présente étude pose les 2 questions suivantes :
– Existe-t-il un lien entre l’exécution de la tâche de contrôle inhibiteur (mesurée en vitesse ou en précision) et le nombre de disfluences de la parole (spécifiques ou non bègues) chez les enfants qui bégaient comparativement aux enfants qui ne bégaient pas ?
– Existe-t-il un lien entre la flexibilité cognitive, l’exécution des tâches et le nombre de disfluences de la parole produites par l’enfant qui bégaie en comparaison à l’enfant qui ne bégaie pas ?
L’étude se passe à Chypre auprès de 38 enfants de 6 à 9 ans : 19 qui bégaient (diagnostic posé par un orthophoniste et score au moins “léger” à l’ISS-4 de Riley) et 19 qui ne bégaient pas. Les enfants n’avaient pas suivi d’orthophonie, n’avaient pas de troubles quels qu’ils soient. Des mesures psychométriques ont été administrées avec l’épreuve de vocabulaire et de cubes, sans qu’il n’y ait de différence significative entre les 2 groupes. Au niveau du langage oral, aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes.

La principale constatation est qu’une moindre maîtrise du contrôle inhibiteur et de la flexibilité cognitive est associée à une augmentation de la production de disfluences caractéristiques du bégaiement dans le groupe des enfants qui bégaient (mais pas des autres disfluences).

Chez les adultes qui bégaient, cette augmentation de la fréquence du bégaiement dans les conversations corrélée à une faiblesse du contrôle inhibiteur avait déjà été démontrée par Bakhtiar et Eggers en 2023. D’autres études ont prouvé que les adultes qui bégaient présentent des difficultés d’inhibition des réponses vocales planifiées (Ning et al., 2017) ; un lien a été également établi entre les voies neuronales associées au contrôle inhibiteur et la gravité du bégaiement (Neef et al., 2018).

Pour aller plus loin, dans une étude antérieure, aucune différence de flexibilité cognitive n’a été constatée entre l’enfant qui bégaie d’âge préscolaire et l’enfant qui ne bégaie pas, alors qu’on relève des coûts de performance significativement plus élevés en termes de vitesse et de précision à l’âge scolaire. Ceci pourrait indiquer que la flexibilité cognitive contribue peut-être à la persistance du bégaiement.
Les résultats actuels peuvent être liés au modèle des fonctions exécutives de Anderson & Ofoe (2019), qui aborde spécifiquement les rôles du contrôle inhibiteur et de la flexibilité cognitive dans l’apparition, le développement et la persistance du bégaiement. Les auteurs émettent l’hypothèse que des déficits de contrôle inhibiteur et de flexibilité cognitive peuvent affecter l’émotion, la sensorialité, la motricité et le langage, entraînant des disfluences dans la production de la parole.

Pourquoi c’est important

Différents auteurs ont montré que les difficultés de planification de la parole augmentent la fréquence des troubles de la parole, entraînent une faible efficacité langagière et une augmentation des exigences attentionnelles. Le contrôle inhibiteur et la flexibilité cognitive sont associés au développement, à la formulation et à la production de la parole et du langage.

Traiter le langage, la parole et la fluence, c’est intégrer la composante transversale, exécutive et adaptative.

Si les résultats de la présente étude semblent s’aligner sur de nombreuses données, il faut bien tenir compte du fait qu’il s’agit d’un sujet à l’étude. La science dédira ou infirmera peut-être partiellement les éléments de conclusion ; mais il est aussi important d’ouvrir sa propre flexibilité que de faire preuve de sens critique.

Ce que ça change

Cette étude met en évidence le rôle possible des faiblesses du contrôle inhibiteur/de la flexibilité cognitive dans l’apparition et/ou la persistance du bégaiement. Le système de production de la parole et du langage reposerait sur le contrôle inhibiteur et une faible compétence en matière de contrôle inhibiteur entraînerait une proportion plus élevée de disfluences.
Il est donc essentiel de traiter la phonologie, le langage oral et les fonctions exécutives dans le cadre du bégaiement.

Par ailleurs, le contrôle inhibiteur joue un rôle essentiel dans l’autorégulation. Gabrys a montré en 2018 que la flexibilité coopérative aide à réguler les pensées négatives répétitives et à se désengager des aspects émotionnels d’une situation. Ainsi, une faiblesse dans le contrôle inhibiteur et la flexibilité cognitive engendre de la difficulté à réguler l’excitation émotionnelle et les pensées négatives dans des situations communicationnelles.
Intervenir auprès d’enfants qui bégaient devrait donc inclure, en plus des conseils à l’entourage et en complément des TCC, un travail d’autorégulation émotionnelle et d’ajustement aux perturbateurs de l’environnement. En ce sens, le travail des moqueries, hautement TCC, est aussi à considérer d’un point de vue flexibilité pour changer de regard sur la situation et envisager d’autres postures.

Concrètement

  • J’entends l’importance de la planification de la parole et du langage. J’investis d’autant plus l’intervention narrative (décidément mon dada des derniers mois !!). Je travaille à l’organisation du récit, la programmation phonologique.

  • J’entends comme émotion, contrôle, langage, fluence sont liés. Il y a les aspects dopaminergiques. Il y a les aspects émotionnels. Et il y a les aspects exécutifs. J’accompagne l’expression des émotions. J’investis le traitement de l’élaboration psychique dans le cadre du bégaiement du tout petit comme de l’enfant d’âge scolaire.

  • J’intègre le rôle du travail exécutif de la régulation émotionnelle comme un renforçateur de la résilience interne. Je travaille sur la flexibilité cognitive de mon.a patient.e afin de lui permettre de disposer de la ressource nécessaire pour ajuster ses réactions aux interactions avec son environnement.

Lien vers l’article complet : https://doi.org/10.1044/2024_AJSLP-23-00242

👉 Pour aller plus loin sur cet article, relire le billet 7 sur la résilience et le billet 9 sur l’intervention narrative

👉 Pour aller plus loin sur le traitement du bégaiement de l’enfant d’âge scolaire, rendez-vous onglet formation.

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