Titre de l’article : Comprendre l’impact plus large du bégaiement : les idées suicidaires
Auteurs : S. E. Tichenor, S. Palasik, J. S. Yaruss
Date de parution : 20 juillet 2023
Résumé en quelques mots
Cette étude explore l’apparition et la nature des idées suicidaires chez les adultes qui bégaient. Plus encore, elle étudie comment les idées suicidaires font partie de l’impact du bégaiement.
Le terme idées suicidaires fait référence aux pensées, à la communication et aux comportements liés à l’intention de mourir.
En 2019, le suicide représentait 1,3 % de tous les décès dans le monde (selon l’OMS). Toujours selon l’OMS, en 2010, la prévalence estimée des idées suicidaires au cours de la vie a été estimée à 9 %.
Nombreuses sont les personnes qui bégaient à éprouver des réactions affectives, comportementales et cognitives négatives à leur bégaiement. Ces réactions apparaissent et se développent avec les expériences négatives. Les personnes qui bégaient peuvent subir une stigmatisation intériorisée et une diminution de l’estime de soi. Ce qui est dangereux, c’est que les pensées négatives peuvent prendre la forme de “pensées négatives répétitives” : la personne rumine alors continuellement les difficultés liées à sa situation de vie et est plus à risque de développer des idées suicidaires.
L’étude porte sur 140 adultes ( âge M = 37,79, SD = 15,34) qui bégaient, selon les auto-évaluations. La plupart des participants ont déclaré avoir déjà reçu une thérapie contre le bégaiement (75,7 %) ; 40% avoir participé à des activités de self-help pour le bégaiement. 27,1 % de l’échantillon ont déclaré un diagnostic clinique d’anxiété ou de dépression.
Les résultats indiquent que les idées suicidaires étaient courantes chez les adultes qui bégaient dans cette étude (67,9 %). 62% de ceux qui ont déclaré avoir eu des idées suicidaires estimaient que ces pensées étaient au moins partiellement liées à leur bégaiement.
Plus les participants subissaient des impacts négatifs forts mesurés à l’OASES, ou plus ils vivaient de pensées négatives répétitives, plus ils étaient susceptibles d’avoir pensé à se suicider au cours de l’année écoulée. Le schéma inverse est également vrai : moins les participants avaient subi d’impacts négatifs liés au bégaiement ou moins ils étaient enclins aux pensées négatives répétitives, moins ils étaient susceptibles d’avoir eu des idées suicidaires dans l’année.
Les idées suicidaires sont influencées par plusieurs facteurs, notamment le sentiment de manque d’appartenance ou d’être un fardeau pour l’entourage ou la société. Ces sentiments sont variables et changent au fil du temps tout au long de la vie d’une personne.
De même, la gestion des idées suicidaires suit le même schéma : les pensées suicidaires peuvent être atténuées grâce aux habitudes de vie, en considérant les conséquences de ses pensées ou actions, et en obtenant ou en participant à un soutien. Il ressort des rapports de ces participants que les pensées suicidaires peuvent diminuer, mais qu’elles ne disparaissent pas toujours, et qu’elles peuvent être déclenchées de multiples façons en fonction de la personne, de sa relation avec le bégaiement et de ses expériences de vie.
Trois thèmes sont également apparus en réponse aux questions portant sur le changement au fil du temps et la gestion des idées suicidaires :
- La protection se réfère aux facteurs qui atténuent ou protègent contre les pensées suicidaires en termes de fréquence ou de gravité
- Le soutien fait référence à l’aide à faire face au bégaiement et aux pensées suicidaires
- La prise en compte des conséquences possibles, thème étroitement associé à la variabilité. En d’autres termes, ces aspects évoluent et changent tout au long de la vie.
Pourquoi c’est important
Cette étude fonde le recrutement du bégaiement sur l’auto-évaluation ce qui est hautement intéressant car elle valide alors les expériences de ceux qui s’identifient comme vivant avec le bégaiement plutôt que des critères basés sur l’auditeur. Se dire bègue est plus fiable que faire dénombrer les disfluences perçues par un tiers.
Plus spécifiquement, cette étude est importante dans la mesure où elle renforce le rôle des orthophonistes en matière d’éducation et de conseil. En effet, elle démontre que les scores élevés à l’OASES ou le grand nombre de pensées négatives répétitives étaient significativement associés à un risque accru de plus grandes idées suicidaires, ce qui souligne l’importance pour les orthophonistes de comprendre les expériences individuelles des patient.es qui bégaient et des facteurs qui peuvent les exposer à un risque plus élevé d’idées suicidaires.
Ce que ça change
Le sujet de l’étude même et ses résultats soutiennent la valeur d’une thérapie axée sur la diminution des effets indésirables sous toutes ses formes, plutôt que d’encourager uniquement ou principalement une parole perceptiblement fluide, ce que défendent Tichenor, Constantino, Herring et Yariss depuis 2019.
Il est vraiment temps d’intégrer ces pratiques dans nos rééducations, comme l’indiquent clairement le DSM-V et sa perspective “life-span” ainsi que les personnes qui bégaient elles-mêmes (dénonciation des micro-agressions liées aux demandes normatives plus ou moins implicites).
Concrètement
- J’entends que le bégaiement peut être générateur d’idées suicidaires chez mon ou ma patient.e. Je tiens compte explicitement de l’état mental de mon ou ma patient.e et de son niveau de soutien.
- J’opte pour une thérapie holistique du bégaiement en traitant les pensées et sentiments négatifs liés au bégaiement lorsqu’ils sont présents, en réduisant l’impact négatif du bégaiement sur la vie de mon ou ma patient.e.
Je favorise une relation positive fondée sur l’empathie et l’honnêteté. J’assume mon le rôle de conseils comme défini par l’ASHA depuis 2016, c’est-à-dire incluant “les interactions liées aux réactions émotionnelles, aux pensées, aux sentiments et aux comportements qui résultent du fait de vivre avec le trouble de la communication”. J’aide mon ou ma patient.e à établir des liens et à développer des sentiments d’inclusion et d’appartenance.
- Je donne toute son importance à l’acceptation, aux pensées positives, au travail de l’estime de soi, aux célébrations des succès, aux réussites globales dans la vie. Je m’appuie sur les thérapies comportementales et cognitives, la thérapie d’acceptation et d’engagement, la pleine conscience, la désensibilisation, l’acceptation de soi pour restructurer les schémas de pensée négatifs et promouvoir la résilience face aux pensées suicidaires. Ainsi, j’apprends à reconnaître, valoriser et accompagner les facteurs de protection. Sans prendre une place autre que la mienne, je reconnais et j’intègre les idées suicidaires comme une composante possible de mon travail d’accompagnement.
- Je ne minimise pas le risque suicidaire. Je ne le traite pas directement moi-même. Je n’hésite pas à faire appel aux professionnels de la santé mentale pour déterminer le risque suicidaire et la conduite à tenir.
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