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Pourquoi et comment fixer des objectifs dès la 1ère séance ?

J’ai lu dernièrement le post d’une collègue qui partageait une réflexion hyper intéressante sur l’intervention auprès des tout-petits (enfants de moins de 6 ans). Elle y exprimait l’ambivalence entre

  • d’un côté l’affection pour la part de créativité (“pouvoir partir de rien et construire des activités langagières qui respectent les grands objectifs à travailler : lexique, syntaxe, phono”) et l’intégration des éléments du quotidien (“un livre avec lequel l’enfant arrive en séance, sortir un bac de figurines…”)
  • mais de l’autre côté la pression de cette liberté par le manque de structure et de rigueur inhérents (besoin de respecter les recommandations, suivre la progression…).

Comment s’assurer de la portée thérapeutique de ce type de séance ?

Comment ne pas à l’inverse ressentir de la lassitude à “simplement” suivre un protocole ?

Cette problématique est précieuse parce qu’elle questionne 3 aspects essentiels de notre travail :

  1. en tant qu’orthophoniste, je trouve qu’elle interroge l’opposition créativité vs rigueur, science vs intuition…
  2. en tant que formatrice, j’observe un écueil fréquent : protocole vs réflexion, rigueur vs rigidité, être opérant·e vs opérationnel·le ou proactif·ve vs tâtonnant·e.
  3. en tant qu’humaine, j’entends une dichotomie entre : suivre les besoins du·a patient·e, être régulateur·rice/rééduquant·e ou thérapeute (du langage et de la communication), intervenant·e ou accompagnateur·rice ?

Car on se rend bien compte que, parfois, le besoin de rigidité va à l’encontre du besoin du·a patient·e.

La réponse est en partie dans la formulation de la question…

D’abord parce que les deux axes ne sont pas forcément opposés.

Laisser libre court à sa créativité ne veut pas dire “faire sa tambouille”, entendre passablement faire un peu ce qui se présente, et pas nécessairement par ordre de priorité ni même de pertinence. Quitter la rigidité d’une séance protocolisée ne signifie pas improvisation béate, passivité ni flou artistique.

Ensuite parce que se donner de grands objectifs est probablement le cœur du problème : trop grands, trop imprécis, ils impulsent une dynamique d’intervention diffuse, non spécifique. Du “bain de langage” sans ligne de base.

Ainsi, EBP et objectifs SMART ne sont pas du tout opposés au respect de l’intérêt de l’enfant. EBP et objectifs SMART ne signent pas la fin de la relation thérapeutique ni de la créativité.

EBP et objectifs SMART signifient “Je sais exactement ce que je dois faire, dans quelle direction, dans quel ordre et pourquoi.”

Non seulement je le sais. Mais en plus je l’ai exposé à la famille et je sais traduire les séances à travers le prisme de ce que j’ai dessiné comme parcours de soin.

C’est ce que j’appelle “faire le Nelson Monfort de l’orthophonie” !

En effet, une fois les objectifs posés, dans la séance, il est possible de travailler avec un enfant TSA en NDBI, avec un TDL en intervention narrative. Ce qui compte, c’est ce que je fais, comment je le fais… et comment je le traduis aux aidants naturels.

Mon CRBO s’articule donc toujours autour de

1. le but du·a patient·e et le but du suivi

2. la liste des objectifs principaux et spécifiques, le plus SMART possible, le plus basés sur l’EBP possible

3. le phasage en court terme, moyen terme, long terme

Tous mes objectifs écrits dans le CRBO sont automatiquement présents dans mon fichier de séance. Ils sont aussi dans le dossier patient dans lequel je peux spécifier des dates d’atteinte d’objectif pour protocoliser le déroulé et me donner des bornes temporelles (très important de les communiquer aux parents pour savoir aussi quels sont les critères d’arrêt).

En entrant en séance je sais donc exactement ce que je dois faire. Mon orientation EBP/SMART est bien là pour savoir AU LASER ce que je dois travailler et donc pour spécifier mon intervention (ce qui est l’un des aspects de l’intensivité de l’intervention) au lieu de me diluer dans un travail diffus qui n’est pas toujours approprié et dont la portée peut être limitée… à moins que ce soit au contraire mon objectif.

Je peux alors suivre totalement l’intérêt de l’enfant, me “laisser porter” par ses choix : je peux travailler mes objectifs avec presque tous les matériels présents au cabinet. Mais ce n’est pas le “jeu choisi” qui détermine ce que je travaille (“Oh, un loto… Ben oui, travaillons le lexique !”) mais bien la spécificité de mon objectif qui détermine comment j’exploite le matériel choisi par l’enfant.

Il me semble essentiel, a fortiori avec les tout-petits, d’insister sur ce point : tout l’art de l’orthophoniste est de savoir orienter et “recoder” ce qui se passe “en jouant” et de permettre aux parents de saisir ce que l’on travaille, comment on le fait et donc comment eux pourront le refaire à la maison. EBP ou pas, SMART ou pas, protocole ou pas : comment le parent comprend ce que l’on fait pour réussir à transférer à la maison (ce qui est un autre pilier de l’intensivité de l’intervention).

Retrouvez ici quelques articles sur les méthodes citées avec le #Expertise.

Vous voulez savoir exactement comment faire… de manière protocolisée ? Il est temps d’aller visiter cette page car j’ai dessiné une formation exactement pour répondre à cette question : https://lobster-orthophonie.com/formations-en-ligne/visioconference/organiser-et-savoir-arreter-une-prise-en-charge-pec-top-chrono/